Dans l'éveil de l'amour, de la beauté, chez l'artiste
Dans l'éveil de l'amour, de la beauté, chez l'artiste qui peut tout peindre, l'élégance où il pourra trouver de si beaux motifs, le modèle lui en sera fourni par des gens un peu plus riches que lui chez qui il trouvera ce qu'il n'a pas d'habitude dans son atelier d'homme de génie méconnu qui vend ses toiles cinquante francs, un salon avec des meubles recouverts de vieille soie, beaucoup de lampes, de belles fleurs, de beaux fruits, de belles robes - gens modestes relativement ou qui le paraîtraient à des gens vraiment brillants (qui ne connaissent même pas leur existence) mais qui, à cause de cela, sont plus à portée de connaître l'artiste obscur, de l'apprécier, de l'inviter, de lui acheter ses toiles, que les gens de l'aristocratie qui se font peindre comme le Pape et les chefs d'État par les peintres académiciens. La poésie d'un élégant foyer et des belles toilettes de notre temps ne se trouvera-t-elle pas plutôt, pour la postérité, dans le salon de l'éditeur Charpentier par Renoir que dans le portrait de la princesse de Sagan ou de la comtesse de La Rochefoucauld par Cotte ou Chaplin? Les artistes qui nous ont donné les plus grandes visions d'élégance en ont recueilli les éléments chez des gens qui étaient rarement les grands élégants de leur époque, lesquels se font rarement peindre par l'inconnu porteur d'une beauté qu'ils ne peuvent pas distinguer sur ses toiles, dissimulée qu'elle est par l'interposition d'un poncif de grâce surannée qui flotte dans l'oeil du public comme ces visions subjectives que le malade croit effectivement posées devant lui. Mais que ces modèles médiocres que j'avais connus eussent en outre inspiré, conseillé certains arrangements qui m'avaient enchanté, que la présence [vol I.43] de tel d'entre eux dans les tableaux fût plus que celle d'un modèle, mais d'un ami qu'on veut faire figurer dans ses toiles, c'était à se demander si tous les gens que nous regrettons de ne pas avoir connus parce que Balzac les peignait dans ses livres ou les leur dédiait en hommage d'admiration, sur lesquels Sainte-Beuve ou Baudelaire firent leurs plus jolis vers, si à plus forte raison toutes les Récamier, toutes les Pompadour, ne m'eussent pas paru d'insignifiantes personnes, soit par une infirmité de ma nature, ce qui me faisait alors enrager d'être malade et de ne pouvoir retourner voir tous les gens que j'avais méconnus, soit qu'elles ne dussent leur prestige qu'à une magie illusoire de la littérature, ce qui forçait à changer de dictionnaire pour lire et me consolait de devoir d'un jour à l'autre, à cause des progrès que faisait mon état maladif, rompre avec la société, renoncer au voyage, aux musées, pour aller me soigner dans une maison de santé. Peut-être pourtant ce côté mensonger, ce faux-jour n'existe-t-il dans les mémoires que quand ils sont trop récents, trop près des réputations, qui plus tard s'anéantiront si vite, aussi bien intellectuelles que mondaines (et si l'érudition essaye alors de réagir contre cet ensevelissement, parvient-elle à détruire un sur mille de ces oublis qui vont s'entassant ?)
Magnifique cet extrait qui lève un voile sur les mystères de la création. Merci beaucoup de nous le faire partager, cher Cactus.
RépondreSupprimerc'est du coté de chez Proust , son temps retrouvé , tu/vous l'aviez remarqué !
RépondreSupprimerhappy new year Claire !
Oui, bien sûr ! (un : j'avais retrouvé l'origine du texte et deux on se tutoie). Superbe année Cactus !
RépondreSupprimerAlors! Tu pleures pour qu'on te fasse signe (cygne) et tu ne réponds pas quand on le fait. Proust d'accord mais Cactus dans un vase communicant c'est oui ou non ?
RépondreSupprimerc'est où Zoë cette préposition ?
RépondreSupprimerOUI OUI Claire !
tout ceci n'est pas très clair Zoë , norme mâle me diras-tu puisque toi pas Claire même si allo allo coté fontaine !
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